
Jeudi 27 Juillet 2023
19h
Musique de France…
…et d’ailleurs
Cloître du Monastère de Cimiez
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Ludwig van Beethoven
Sonate pour violon et piano n°5, op.24
« Le Printemps »
(Allegro – Adagio molto espressivo – Scherzo & Trio – Rondo)
Claude Debussy
Sonate pour violon et piano, en sol mineur
(Allegro vivo – Intermède – Finale)
Alban Berg
4 Pièces pour clarinette et piano, op.5
(Mässig – Sehr Langsam – Sehr Rash – Langsam)
Béla Kovacs
Sholem-alekhem, rov Feidman !
Lili Boulanger
Nocturne & Cortège
Francis Poulenc
Sonate pour violon et piano
(Allegro con fuoco – Intermezzo – Presto tragico)
Olivier Charlier violon
Michel Lethiec clarinette
Emmanuel Strosser piano

Lili Boulanger
Trois sonates d’époques bien différentes viennent structurer ce concert : la naissance du Romantisme sous la plume de Beethoven, puis la 1ère Guerre Mondiale avec Debussy, et enfin la Seconde en compagnie de Poulenc.
Beethoven avait 31 ans lors de la publication de sa 5ème sonate, dite « Le Printemps » : une sonate colorée par la jeunesse du compositeur, encore à l’orée de son odyssée musicale, encore au printemps de sa vie.
Beethoven a beaucoup transformé les modèles déjà existants (symphonies, sonates, trios ou quatuors), mais ces transformations se sont étalées sur une trentaine d’années (repositionnant les piliers porteurs de l’architecture musicale), sans pour autant faire table rase d’un passé dont il est l’héritier. Debussy et Mahler, pour ne prendre en exemple que ces deux autres novateurs, n’ont pas agi de la même manière : à quelle forme préexistante peut-on rattacher La Mer ? Aucune. Ce n’est pas une symphonie, ni même un poème symphonique en 3 parties… c’est La Mer, tout simplement, et sobrement sous-titrée « Esquisses symphoniques » par Debussy lui-même. Et concernant Mahler, sa 8ème symphonie, dite « Symphonie des Mille », peut-elle vraiment être encore considérée comme une symphonie au sens formel du terme ? Et que dire de sa 2ème, dite « Résurrection » ?
Beethoven, lui, a sans ambiguïté repris les schémas formels développés par Haydn (pour, peu à peu, les transformer de l’intérieur), et prolongé le geste mozartien dans sa volonté d’équilibrer l’écriture des différents partenaires lorsque ceux-ci jouent en sonate.
Mozart et Beethoven sont regardés comme les pères de la Sonate moderne, celle que nous connaissons aujourd’hui et qui permit l’éclosion de tant de chefs-d’œuvre ultérieurs (comme les 3 Sonates pour violon et piano de Brahms, puis celles – irradiantes – de César Franck, Guillaume Lekeu, Gabriel Fauré et jusqu’à celles de Prokofiev). Pourquoi ? La réponse est dans l’histoire, dans la dénomination même des œuvres. En effet, Mozart s’est intéressé très tôt à cette forme musicale, dès l’âge de 8 ou 10 ans, et c’est bien l’évolution de son propre parcours qui nous renseigne : ainsi, ses premières sonates pour violon et piano sont intitulées « Sonates pour clavier avec accompagnement de violon »… Tout est dit. Mozart, encore gamin, et se conformant aux usages « galants » de son époque, accordait donc une place privilégiée au clavier, laissant au violon un simple rôle d’accompagnateur. A ce stade, on ne peut parler d’un réel dialogue entre les deux instruments, l’aspect concertant (que sublimeront Brahms ou Franck) n’existant tout simplement pas.
Puis, peu à peu, sous la plume d’un Mozart grandissant en maturité, le violon cessera d’être inféodé au clavier, acquérant une indépendance qui le placera – enfin – à niveau égal. Mozart avait 25 ans lorsqu’il composa la Sonate K.376, et l’on mesure déjà le chemin parcouru : clairement inscrite dans le goût viennois (Mozart venait de s’installer à Vienne), cette page développe un vrai dialogue complice et concertant entre les deux instruments.
Beethoven, lui-même pianiste mais également violoniste et altiste, n’eut aucune peine à reprendre le flambeau laissé par son aîné : ses 10 sonates pour violon et piano (dont « Le Printemps » demeure la plus populaire) hissent la relation concertante à un degré d’équilibre que l’on peut juger idéal.
A noter : cette sonate « Le Printemps » est la première à laquelle Beethoven ajoute un Scherzo, passant ainsi de 3 à 4 mouvements. On peut y voir une certaine influence de l’univers symphonique…
Transportons-nous au début du XXème siècle, le 5 mai 1917, à la Salle Gaveau à Paris : Debussy, déjà affaibli par la maladie, offre au public la première audition de sa 3ème et dernière sonate, en compagnie de Gaston Poulet. Articulée en 3 mouvements, cette sonate respire autant l’insondable mystère d’une fausse quiétude, qui se voudrait détachée, que le désespoir qui envahit l’homme aux portes du cancer et de la guerre. La tonalité de sol mineur n’est pas anodine. Avant tout, et par-delà la nostalgie poignante qui nimbe le discours, cette œuvre est le témoignage d’un esprit où souffle une pensée libre : « Je suis simple comme l’herbe », disait Debussy.
Le 3ème exemple de sonate de cette soirée fut écrit par Francis Poulenc, en pleine Seconde Guerre Mondiale. Poulenc ne s’est jamais montré satisfait de sa partition. Ecrire pour le violon constituait déjà pour lui une manière d’aberration, ou du moins une gageure inconfortable. Ce n’est qu’à l’insistance de Ginette Neveu, à laquelle Poulenc ne voulait rien refuser, que nous devons l’existence de cette partition (relativement courte, la durée d’exécution ne dépassant pas 18 minutes). En cours de travail, le compositeur livrait ses impressions : « Le monstre est au point, je vais commencer la réalisation. Ce n’est pas mal, je crois, et en tout cas fort différent de la sempiternelle ligne de violon-mélodie des sonates françaises du XIXème siècle. Le violon prima-donna sur piano-arpège me fait vomir ».
Ecrite en mémoire de Federico Garcia Lorca, l’œuvre est créée par Ginette Neveu et le compositeur au piano le 21 juin 1943 à la Salle Gaveau. Les critiques éreinteront la partition, et Poulenc lui-même eût toujours sur son œuvre des mots plutôt désobligeants.
Nous restons dans la musique française avec Lili Boulanger, dont Nocturne puis Cortège sont interprétés ce soir dans leur version pour violon et piano (il existe une version pour flûte). La disparition, à l’âge de 24 ans, de cette compositrice demeure une tragédie qui nous a privé de la lumière de cet immense talent.
En contrepoint de ce compagnonnage violon/piano, la clarinette vient nous offrir les 4 Pièces de Berg, écrites en 1913, et l’ébouriffant Sholem-alekhem, rov Feidman ! du clarinettiste hongrois Béla Kovács.
Jean-Noël Ferrel
BIOGRAPHIES
Olivier Charlier (©Georges Veran)
Olivier Charlier s’impose comme un des principaux violonistes français de sa génération : 1er Prix du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris à 14 ans, couronné dans la foulée des lauriers internationaux les plus convoités (Munich, Montréal, Sibelius, Jacques Thibaud, Indianapolis, Young Concert Artists New York…), il fut pris spontanément sous l’aile de Nadia Boulanger, Yehudi Menuhin ou Henryk Szeryng.
Fort d’un succès d’une fulgurante précocité, Olivier Charlier peut à juste titre revendiquer son appartenance à l’école française de violon (celle de Jacques Thibaud, Ginette Neveu, Christian Ferras…) et se vanter de la faire briller sur les scènes du monde entier.
Il a joué avec plus d’une cinquantaine d’orchestres français (Orchestre National de France, Orchestre de Paris…), ainsi qu’avec les grandes formations internationales (Londres, Berlin, Amsterdam, New York, Montréal, Tokyo, Sydney…).
Son parcours discographique comprend un large éventail du répertoire de concertos : Dutilleux (L’arbre des songes), Lalo (Concerto Russe et Concerto en fa), Saint-Saëns, Mendelssohn, Mozart, Vivaldi ; mais aussi Edward Gregson, Gerard Schurmann, Marius Constant ou Cyril Scott. En sonate, il a gravé de nombreuses œuvres françaises avec le pianiste Jean Hubeau (Franck, Debussy, Saint-Saëns, Pierné, Vierne), et a enregistré également avec Brigitte Engerer (Beethoven, ainsi que les intégrales Schumann et Grieg). Son « Trio Owon » (avec Emmanuel Strosser et Sung-Won Yang) a fêté ses dix ans, et possède aussi un bel éventail discographique : Schubert, Dvořák, Beethoven (l’intégrale), Messiaen (Quatuor pour la fin du Temps), et en 2020 : Tchaïkovsky, Shostakovich et Weinberg.
Il a aussi gravé L’Histoire du Soldat de Stravinski en 2018, chez Harmonia Mundi, avec Didier Sandre, Denis Podalydès et Michel Vuillermoz – Récitants de la Comédie-Française.
Olivier Charlier enseigne au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, et à l’IESM d’Aix-en-Provence.
Michel Lethiec
Le clarinettiste français Michel Lethiec est actuellement considéré comme l’une des figures éminentes du milieu musical international.
Artiste très présent sur les scènes de concerts et de festivals, il est également passionné par l’enseignement et participe très activement à la recherche et la diffusion du répertoire, en tant qu’interprète et en tant que concepteur de programmes.
Il se produit en soliste et en musique de chambre, partenaire des interprètes et orchestres les plus renommés.
Interprète enthousiaste de la musique de notre temps, il a créé de nombreuses pièces et concertos, parmi lesquels des oeuvres de Penderecki, Corigliano, Denisow, Maratka, Ballif, Landowski, Decoust, Dalbavie, Fourchotte, Risset, Scolari, Narita, Brotons, Hersant, Giraud, Lee, Ryu…
Son importante discographie, pour Lyrinx, Naxos, Arion, RCA, Bis, Talent, Actes Sud, comprend deux Grands Prix du Disque, et des enregistrements inédits : concertos et musique de chambre de Krzysztof Penderecki, Porgy & Bess de Gershwin dans un arrangement de Frank Villard pour clarinette et cordes, « Les larmes et les prières d’Isaac the blind » de Golijov avec quatuor à cordes.
Son deuxième enregistrement du concerto de Penderecki (sous la direction du compositeur) a obtenu le Prix International du Disque (mars 2016), et les quintettes de Bernard Hermann (le compositeur de Hitchcock) et de David Del Tredici sont maintenant présents dans son répertoire discographique avec le Fine Arts Quartet (décembre 2016, Naxos).
Un CD consacré à la musique pour clarinette de Krystof Maratka est édité chez Arion en 2018, avec l’auteur au piano, l’altiste Karine Lethiec et le Quatuor Zemlinski.
En novembre 2018, il a créé, avec Patrick Gallois et l’Orchestre Juventus de Varsovie, le nouveau concerto de Krzysztof Penderecki pour flûte, clarinette et orchestre.
Professeur réputé, il est Professeur Honoraire au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, professeur au Conservatoire de Nice et donne régulièrement des master-classes à l’École Normale de Paris et dans les grandes institutions étrangères (Chine, Hambourg, Finlande, Brésil, Prague).
Il est l’invité des jurys de concours internationaux (Genève, Leipzig, Prague, Munich, Osaka, Pékin, Fribourg, Hambourg, Düsseldorf, Rouen…).
Directeur artistique du prestigieux Festival Pablo Casals de Prades de 1982 à 2020, il y a accueilli chaque été les plus grands musiciens de chambre et leurs étudiants, autour de programmes originaux présentés également au Théâtre des Champs-Elysées à Paris et dans plusieurs autres capitales : Tokyo, Pekin, Shanghai, Hong Kong, Porto Rico.
Michel Lethiec est Chevalier dans l’Ordre National du Mérite et dans l’Ordre des Arts et Lettres.
Emmanuel Strosser (©Jean-Baptiste Millot)
« Un vrai poète du piano » (Pianiste)
Pianiste incontournable de sa génération, Emmanuel Strosser est l’invité de prestigieux festivals tels le Festival de l’Épau, de l’Orangerie de Sceaux, de la Roque d’Anthéron, le Festival International de Colmar, de Prades, de Kuhmo, La Folle Journée de Nantes… Il se produit en récital, ou en soliste avec des formations symphoniques : Orchestre Philharmonique de Radio-France, Ensemble Orchestral de Paris, Orchestre de Picardie, Orchestre de Chambre de Toulouse, Orchestre National de Lille, Orchestre National de Montpellier, Orchestre de Chambre de Lausanne…
Outre ses récitals, la musique de chambre tient une place importante dans sa carrière. Il retrouve régulièrement sur scène Olivier Charlier, Jean-Marc Phillips-Varjabédian, Régis Pasquier, Xavier Phillips, Raphaël Pidoux, Peter Wiespelwey, Miguel Da Silva, Romain Guyot, François Leleux, le Quatuor Prazak, le Quatuor Artis, le Quatuor Ysaye, le Quatuor Modigliani. Avec la pianiste Claire Désert, il forme un duo de pianos et quatre mains incontournable du paysage musical. Emmanuel Strosser est également membre du Trio Owon en compagnie d’Olivier Charlier et du violoncelliste coréen Sung-Won Yang.
Avec cinq autres pianistes, Emmanuel Strosser a donné dans de nombreux pays l’Intégrale des Sonates de Beethoven ainsi que l’Intégrale de la musique pour piano de Schumann. En parallèle de ses concerts en Europe (Wigmore Hall, Royal Academy à Londres, Louisiana Museum au Danemark, La Cité de la Musique, Opéra Comique, Salle Gaveau à Paris…), il se produit régulièrement en Amérique du Sud, aux États-Unis, au Japon, et en Corée où il est invité pour des tournées chaque année.
Originaire de Strasbourg, Emmanuel Strosser se forme auprès d’Hélène Boschi avant d’entrer au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris où il suit l’enseignement de Jean-Claude Pennetier (piano) et Christian Ivaldi (musique de chambre). Après des 1er Prix à l’unanimité, il se perfectionne auprès de Leon Fleisher, Dimitri Bashkirov et Maria João Pires. Lauréat du Concours International de musique de chambre de Florence, il est finaliste en 1991 du concours Clara Haskil à Vevey. Par ailleurs, il est professeur de piano au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris et professeur de musique de chambre au CRR de Paris après avoir été pendant quatre ans professeur de musique de chambre au Conservatoire National Supérieur de Musique de Lyon.
Emmanuel Strosser a participé à de nombreux enregistrements, tous chaleureusement accueillis par la presse. Il a enregistré un disque consacré à Mozart (chez Harmonia Mundi), les deux Quintettes de Fauré avec le Quatuor Rosamonde, les Sonates de Fauré et de Debussy pour violon et piano avec Régis Pasquier. Sont parues chez Assaï la Ballade et la Fantaisie de Gabriel Fauré avec l’Orchestre de Picardie ainsi que les trois sonates de l’opus 10 de Beethoven pour lesquelles il a obtenu un « Choc » du Monde de la Musique. Ses enregistrements gravés chez Mirare comprennent trois disques en compagnie de la pianiste Claire Désert, dédiés aux Danses Slaves de Dvořák, à la musique française et à Schubert, et deux albums solo consacrés respectivement à Schubert et à Chabrier.