Dimanche 16 juillet – 21H00

Dimanche 16 Juillet 2023
21h

Récital de piano

« Glass Night »

Vanessa Wagner

Cloître du Monastère de Cimiez

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Programme

Philip Glass

10 Etudes

(n°2, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 & 12)

Vanessa Wagner piano

Philip Glass

En musique comme en toute forme d’art, le geste accompli ne serait-il au fond qu’un geste initial de métamorphose ? Chez Ravel, le jardin devient féérique. Sous l’œil de Monet, le port du Havre s’irise dans l’impression d’un soleil levant. Chez Debussy, c’est la cathédrale qui se meut en résonances englouties. C’est aussi le jardin – si cher à Ravel – qui devient le joyeux bruissement des gouttelettes de pluie. Et à bien regarder Rodin, il nous semble voir la pensée animer ce front posé sur la paume d’une main, et transfigurer le bronze dans son apparente immobilité.

Pourquoi parler ici de métamorphose ?

Philip Glass est un compositeur contemporain, américain, une figure emblématique de la musique dite « minimaliste » (il en est même l’un des pères fondateurs). Mais qu’est-ce que la musique minimaliste ? Elle n’est pas autre chose qu’un processus de métamorphose : processus lent, régulier, inexorable et (presque) imperceptible. Il s’agit en fait d’énoncer une simple cellule musicale (mélodique ou rythmique), puis de la répéter indéfiniment d’une manière « presque » identique (on parle aussi de musique répétitive)… Or, tout est dans le « presque », car un élément (un seul élément) infiniment petit de cette cellule se verra varié, transformé, muté au fur et à mesure des répétitions successives. Ainsi, l’ensemble de la cellule musicale subit une évolution lente et progressive, engendrant un climat quasi hypnotique qui abolit la notion même du temps et la valeur du contraste.

Bien évidemment, on est là aux antipodes de la musique sérielle et dodécaphonique, initiée en Autriche par Schoenberg et Berg. C’est même en réaction contre cette musique (sérielle et dodécaphonique) qu’est né, aux alentours des années 1960, sur le sol américain, le courant minimaliste. En effet, le courant minimaliste est essentiellement tonal, voire modal, et situe son innovation non sur le langage musical lui-même (les échelles sonores) mais plutôt sur la structure évolutive de ce langage volontairement simplifié.

On s’accorde à attribuer l’émergence de la musique minimaliste à 3 compositeurs américains qui sont Terry Riley, Steve Reich et Philip Glass (l’œuvre In C de Terry Riley, écrite en 1964, est communément regardée comme l’œuvre fondatrice de ce courant). A ces 3 compositeurs, il faut ajouter le nom de Morton Feldman, lequel utilise et systématise le « décalage de phase » pour opérer la lente mutation (la métamorphose) de ses éléments, au gré des répétitions successives. En plongeant plus loin dans le temps, on pourrait même considérer Erik Satie – eh oui ! Notre Erik Satie… – comme le réel et lointain père fondateur du courant minimaliste : sans réellement le vouloir, Erik Satie avait déjà découvert le pouvoir hypnotique des répétitions à l’identique, et l’illusion sonore que peuvent créer les infimes variations d’éléments apparemment accessoires. D’ailleurs, nombre de compositeurs minimalistes rendent régulièrement hommage à Satie.

La métamorphose est donc l’archétype, l’essence même, l’atelier expérimental par excellence de la musique minimaliste et répétitive… et c’est sans doute pourquoi Philip Glass donna à l’une de ses œuvres le titre de « Metamorphosis » (œuvre conçue en 1988, soit 25 ans environ après la naissance du courant minimaliste).

 

Les œuvres qui nous occupent ce soir, puisées dans les 2 recueils des Etudes, vont bien au-delà d’un simple processus de métamorphose, et bien au-delà d’un pur exercise pianistique…

C’est pourtant la nécessité de l’exercice qui est à l’origine de ces 20 Etudes. En effet, au début des années 90, Philip Glass éprouva le besoin de retourner sur scène en qualité de pianiste (l’acte créateur est essentiel puisqu’il permet de matérialiser une forme de recherche, mais… pouvoir toucher le son et soi-même lui donner naissance demeure une exaltation que seuls connaissent les interprètes). Seulement, retournant donc au piano, Philip Glass fit le constat que sa technique se devait d’être améliorée. Plutôt que de se contenter des études habituellement travaillées (Hanon, Czerny, puis Bartók, Chopin ou Debussy), il décida d’écrire à sa propre intention les « exercices » dont sa technique aurait besoin. Ces exercices devinrent en réalité une série de pièces magnifiques, à la fois synthèse des principes compositionnels de Glass et ouverture vers un ailleurs où le lyrisme et le sens du relief prirent une place inhabituelle. Claude Debussy, à propos de ses propres Etudes, écrivait à son éditeur :  » ces Etudes dissimulent une rigoureuse technique sous des fleurs d’harmonie ». On pourrait reprendre ces mots pour qualifier les Etudes de Glass, lesquelles transcendent même le principe répétitif (qui demeure un socle, mais cesse d’être une finalité).

Ainsi, initié en 1994, un 1er recueil de 10 Etudes vit le jour. Immédiatement, le milieu musical resta ébahi devant ces miniatures à l’envergure de chefs-d’œuvre, et nombre de pianistes les inclurent à leur répertoire.

Un nouveau recueil, comprenant là encore 10 nouvelles Etudes, vit son achèvement en 2012.

Depuis lors, on ne compte plus les concerts à travers le monde programmant le cycle complet ou – comme ce soir – un bouquet de pièces choisies ; également, on demeure étonné devant le nombre de parutions discographiques (fait rare pour des œuvres contemporaines, et encore plus rare s’agissant d’œuvres très récentes).

Citons 2 CD où figurent des Etudes de Glass enregistrées par Vanessa Wagner :

Mirrored

Study of the Invisible

En marge de ces Etudes, permettez-moi un avis tout personnel : allez jeter un coup d’oreille à la musique du film Kundun (composée naturellement par Philip Glass). Au-delà du film – réalisé par Martin Scorsese – et de cet hommage à l’identité du Tibet (l’un des grands combats de Glass, en compagnie de l’acteur Richard Gere), la bande sonore est également un pur chef-d’œuvre, et de surcroît un parfait exemple des principes constitutifs de l’écriture minimaliste.

Jean-Noël Ferrel

Musique du film Kundun

BIOGRAPHIE


Vanessa Wagner (©Jean-Baptiste Millot)

Décrite par le quotidien Le Monde comme “la pianiste la plus délicieusement singulière de sa génération”, Vanessa Wagner poursuit une carrière à son image, originale et engagée, mêlant les récitals classiques, la création contemporaine, la pratique des instruments anciens, la musique de chambre, ainsi que les rencontres transversales avec d’autres pratiques artistiques.

Ces dernières années, elle a collaboré avec des artistes tels que Murcof ou Rone, Yoann Bourgeois, Arthur H, Romane Bohringer, Marianne Denicourt, et a participé à plusieurs créations chorégraphiques signées par Emmanuelle Vo-Dinh, Sylvain Groud, Petter Jacobson. Très investie dans la musique de son temps, elle est dédicataire de plusieurs pièces de Pascal Dusapin, François Meimoun, Amy Crankshaw, Alex Nante…

Réputée pour ses couleurs musicales, l’intensité de son jeu et la richesse de son toucher, son vaste répertoire sans cesse renouvelé est le miroir d’une personnalité toujours en éveil, tissant patiemment des liens entre des univers trop souvent cloisonnés.

En 2016, elle a enregistré pour le label InFiné l’album très remarqué « Statea » (ffff Télérama) avec le producteur Murcof, associant piano et électronique autour de pièces minimalistes de Philip Glass à John Cage, qui a donné lieu à de nombreux concerts de par le monde.

Fruit de sa nouvelle collaboration avec le label La Dolce Volta, un album « Mozart, Clementi » sorti en 2017 réunissait sa pratique du piano-forte et du piano moderne. Celui-ci a d’ailleurs reçu les honneurs de toute la presse musicale, ffff de Télérama ou le Monde, comme l’ensemble de sa large discographie qui a reçu de nombreuses récompenses. Elle aborde tout le grand répertoire, depuis son premier disque Rachmaninov en 1996 à Mozart, Schumann, Schubert, Brahms, Liszt Scriabin, Debussy, Ravel, Berio, Dusapin…

Elle a sorti en 2018 un nouvel opus qui mêle le Liszt méditatif des « Harmonies Poétiques et Religieuses » en écho à des oeuvres mystiques d’Arvo Pärt. En 2019, elle consacre un enregistrement au courant minimaliste dans un disque intitulé « Inland » (Infiné). Ce disque comporte quelques pièces rares ou inédites d’un répertoire qu’elle affectionne particulièrement. Il a lui aussi été très remarqué, donnant lieu à de nombreux concerts. Avec le pianiste Wilhem Latchoumia, elle enregistre “This is America” (2021) consacré au grand répertoire américain pour deux pianos. Ce disque a reçu un accueil très chaleureux de la presse et du public, avec notamment un Diapason d’Or, un Choc de Classica. Le duo se produite très régulièrement depuis.

Souhaitant poursuivre son exploration du répertoire post-minimal, elle a enregistré durant la pandémie une suite à Inland. “The Study of the Invisible” (mars 2022) puis “Mirrored” (2022) donnent à découvrir tout un pan de la musique d’aujourd’hui encore peu joué par les musiciens classiques qui réunit Nico Mulhy, Bryce Dessner, Brian Eno, Philip Glass, Caroline Shaw ou Harold Budd dans un voyage intime et puissant.

Consacrée « Révélation soliste instrumental » aux Victoires de la Musique Classique en 1999, Vanessa Wagner s’est depuis produite à travers le monde entier, et sa carrière depuis 20 ans ne cesse de s’enrichir.

Elle est l’invitée de nombreux orchestres dirigés par Charles Dutoit, François-Xavier Roth, Jean-Claude Casadesus, Theodor Guschlbauer… et se produit régulièrement dans des salles comme la Philharmonie de Paris, le Grand Auditorium de Radio-France, le Théâtre de Bouffes du Nord, le Théâtre des Champs-Elysées, la Seine Musicale, le Théâtre de la Monnaie de Bruxelles, l’Oriental Art Centre de Shanghai, le Symphony Hall d’Osaka, la Cité de le Musique de Rio, l’Académie Santa Cecilia de Rome, le Royal Albert Hall de Londres, Skirball Center de New York…

Vanessa Wagner est également à l’affiche des grands festivals comme la Roque d’Anthéron, le Festival Présences de Radio-France, Piano aux Jacobins, le Festival International d’Aix-en Provence, les Folles Journées de Nantes, le Lille Piano Festival…

Vanessa Wagner est directrice artistique du Festival de Chambord depuis 2010 où elle élabore une programmation ambitieuse et éclectique et a créé en 2020 le Festival de Giverny.

Elle a été décorée de la médaille de Chevalier de la Légion d’Honneur en avril 2023.

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